HARMOREXIE

Boulimie


Définition et chiffres
La boulimie est un trouble complexe, multi-factoriel qui se caractérise concrètement par des crises compulsives ou la prise alimentaire prend des proportions incontrôlables. 
 
w 70% des boulimiques sont des jeunes filles ou des femmes. 
 
w 10% des femmes sont touchées à un moment ou un autre par des périodes alimentaires compulsives. 
 
w 70% des boulimiques ont un poids normal (« invisibilité » du trouble) 
 
w 20 % des boulimiques souffrent d’une autre dépendance 
 

 


Les critères diagnostiques de la boulimie (DSM IV, 1994) 
 
Survenue récurrente de crises de boulimie. Une crise de boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes : 
- Absorption, en une période de temps limitée, d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des gens absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances. 
- Sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise 
Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévenir la prise de poids, tels que : vomissements provoqués, emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments ; jeûne ; exercice physique excessif. 
Les crises de boulimie et les comportements compensatoires inappropriés surviennent tous deux, en moyenne, au moins 2 fois par semaine pendant 3 mois. L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle. 
Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des épisodes d’anorexie mentale. 
 
Il existe deux types de boulimie : 
w Type avec vomissement ou prise de purgatifs: pendant l'épisode actuel de boulimie, le sujet a eu régulièrement recours aux vomissements provoqués ou à l'emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements. 
w Type sans vomissements ni prises de purgatifs: pendant l'épisode actuel de boulimie, le sujet a présenté d'autres comportements compensatoires inappropriés, tels que le jeûne ou l'exercice physique excessif, mais n'a pas eu régulièrement recours aux vomissements provoqués ou à l'emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements. 
 

 


 


Avec ou sans vomissements – Réflexions personnelles

Dans cet article, je parlerai d’hyperphagie pour la forme de boulimie sans stratégies d’élimination (vomissement, laxatif…) et de boulimie pour la boulimie accompagnée de stratégies d’élimination. La page sur le poids et le surpoids contient des ressources et renseignements concernant l’hyperphagie (50% des personnes en surpoids au moins présentent les critères de l’hyperphagie).

Je ne peux tout de même m’empêcher d’apporter une réflexion sur cette terminologie diagnostique. La boulimie avec vomissement constitue une évolution du phénomène boulimique. Les personnes boulimiques c’est-à-dire présentant des prises compulsives de nourriture ou bien des personnes anorexiques découvrent à un moment donné que vomir permet de contrôler le poids sans se priver des crises. Le vomissement n’est donc à ses débuts qu’une solution à la boulimie et à la peur de prendre du poids. Mais le vomissement devient assez vite un rituel et dans certains cas de plus en plus agréable, jusqu’à devenir même le plus grand plaisir, c’est-à-dire le phénomène recherché dont la prise de nourriture n’est plus qu’une étape. Il apparaît alors que ce n’est plus de la prise de nourriture qu’on ne peut plus se passer mais du vomissement qui devient le centre du trouble. D’une boulimie initiale, on glisse vers un Syndrome du vomissement (Nardone), sorte de « compulsion vomitive » ou la prise de nourriture et le poids deviennent des éléments secondaires à la faveur du vomissement lui-même. 

Pour résumer, en matière de boulimie, on a donc trois sous-groupes définis, différents mais qui peuvent également constituer les étapes de l’évolution du trouble alimentaire chez une même personne : 

 

1) Hyperphagie : prise compulsive de nourriture.

 

2) Boulimie : prise compulsive de nourriture et stratégies compensatoires pour ne pas prendre de poids (tendance anorexique)

 

3) Syndrome du vomissement : « mutation » de la boulimie vers une compulsion du vomissement.


 

Epidémiologie

 

 

  • Maladie de la jeune femme

 

  • Fréquente : 2 à 5 % des femmes de 20-35 ans (plus sans doute, car elle est cachée !)

 

  • Son incidence va croissante

 

  • Souvent cachée

 

  • État dépressif chronique et tendance suicidaire font toute la gravité du pronostic
     
  • Sex ratio : 90 % de femmes (1 H pour 10 F)

 

  • Début : entre 20 et 35 ans

 

  • Fréquence : 10 fois plus que l’AM
 
 
Les signes qui aident au diagnostic :

 

 

  • Désir d’amaigrissement à poids normal ou bas

 

  • Instabilité

 

  • Ne mange rien et grossit

 

  • Souhaite « apprendre à manger »

 

  • Gonflement du visage et des parotides

 

  • Vomissements et potomanie (boire 3 à 5 litres d’eau par jour)

 

 

Ne pas oublier :

 

  • Les conduites associées, le risque de suicide

 

  • La structure alimentaire est éclatée ; plus de repas : une crise sinon rien !

 

  • La structure en nutriments aussi : peu de protéines

 

  • Le poids est normal, mais la composition corporelle non (rétention hydro-sodée)

 

  • Il y a des signes de malnutrition : micronutriments

 

  • Une complication fréquente : la perte dentaire (émail, gencives).

 

  • Les autres complications somatiques sont rares : rupture oesophagienne ou gastrique, pancréatite subaiguë, dilatation colique et pseudo-obstruction intestinale idiopathique, maladie des laxatifs ...

 

 

 

 

En fait :

 

La gravité est mentale :

 

  • Désinsertion

 

  • Désert sentimental

 

  • Débâcle affective et familiale

 

  • Désespoir

 

  • Désir de mort : 10-15 % décèdent par suicide

 

 

 

 

 

 

Les manifestations somatiques de la boulimie sont :

 

 

 

  • Irrégularité menstruelle,

 

 

  • troubles ioniques,

 

 

  • intoxication à l’Ipéca thermique,

 

 

  • dilatation, rupture de l’estomac,

 

 

  • hypertrophie parotidienne,

 

 

  • oesophagite,

 

 

  • ulcération,

 

 

  • fausses-routes gastriques,

 

 

  • pneumopathie de déglutition

 

 

 

Quelques conséquences de la boulimie:

 

 

Physiques

Psychologiques

  • Dentition détériorée
  • Fatigue 
  • Trouble du sommeil 
  • Oedème aux joues (enflure)
  • Débalancement du système hydroélectrolytique (manque de potassium et de magnésium) 
  • Etc.
  • Dépression, humeur dépressive
  • Dévalorisation, dépréciation 
  • Perception déformée de son image corporelle
  • Anxiété, angoisse 
  • Changement dans les humeurs
  • Etc.

Sociales

Économiques

  • Isolement-retrait social 
  • Perte du cercle social 
  • Relations amoureuses difficiles
  • Relations interpersonnelles difficiles
  • Etc.
  • Coût élevé pour la nourriture (crise de boulimie) 
  • Coût associé à l'achat de laxatifs, diurétiques...
  • Etc.

 

 

 

 


Le trouble du comportement alimentaire apparaît pour signifier que quelque chose de plus profond ne va pas.

 

 

 


FACTEURS ET AXES DE TRAVAIL

 

 

Au premier abord, la plainte de la personne souffrant de boulimie concerne essentiellement l'alimentaire, les vomissements, le poids... Ces sujets ont un rôle central, détiennent un presque monopole. La fonction du thérapeute est de favoriser le déplacement de l'attention et de la réflexion vers d'autres éléments structurels, générant le processus pathologique. C'est la résolution de ces problématiques "primairo-secondaires" qui permettra de dénouer le trouble.

 

 

"Un passant rencontre un autre homme, dans la rue. Celui-ci est à quatre pattes, sous un réverbère et semble chercher quelque chose. 
- Que faites-vous ici, sous ce réverbère. Avez-vous un problème?
- J'ai perdu mes clefs, je les cherche.
Le passant décide d'aider l'homme et se met à quatre pattes pour chercher avec lui. Après quelques minutes de recherches infructueuses, commençant à sentir poindre un certaine lassitude ainsi que des douleurs dans les genoux, le passant demande à l'homme : 
- Arrivez-vous à vous rappeler ce que vous avez fait et où vous étiez quand vous les avez perdues?
- J'étais là bas, répond l'homme, montrant le trottoir opposé, plongé dans la pénombre.
- Mais pourquoi vous acharnez-vous à chercher ici?
- Ici, c'est mieux, il y a de la lumière."

 

 

Le trouble alimentaire est généralement très sophistiqué dans sa structure, multifactoriel. Les degrés d'intervention sont donc multiples. 

 

Quelques axes sont présentés ici et seront développés au fil du temps :
 
 
 


 

 

 


Adolescence et puberté

 

 

 

 

Une puberté précoce et/ou inattendue (donc souvent non-anticipée par la personne elle-même et le milieu familial) peut constituer un choc important chez une adolescente, à l'origine de troubles du comportement alimentaire. En devenant sexuée, l'adolescente s'expose à différentes perturbations, physiologiques et psychologiques et à un changement de statut, familial et social.

 

Nul besoin de posséder un doctorat en psychologie pour savoir que adolescence et puberté constituent des étapes importantes du devenir de tout être humain. Dans la genèse du trouble alimentaire, la puberté est souvent une étape importante, étape de perte de repères autant corporels que psychologiques. L’image se brouille.

 

La graisse pendant l'enfance est distribuée uniformément dans le corps, de manière harmonieuse. Un enfant peut être jugé mignon car présentant un physique « poupon ». A l'adolescence, la graisse vient se situer essentiellement sur le ventre, les cuisses et les fesses, zones sensibles aux effets des hormones (et s'organisant entre autres pour une future maternité). Le corps poupon se transforme en quelque chose de plus hétérogène. Le corps perçu se modifie et se fragmente.

 

De plus, les adolescentes au moment de la puberté prennent du poids plus vite qu'elles ne grandissent, augmentation bien plus importante que pour les garçons, désynchronisme qui peut accentuer l'intensité du mal-être. Cette évolution normale et naturelle peut être donc être perçue comme une mutation dangereuse et déstabilisante.

 

A cette insatisfaction corporelle, rendue réelle par la puberté et perçue comme ingrate se mêle aux premières relations sentimentales et donc à l’exigence de plaire : conflit entre « je suis moche » et «c’est nouveau et important pour moi de plaire ». Les changements hormonaux favorisent également une certaine instabilité émotionnelle dont des phénomènes d’impulsivité que l’on retrouve dans les compulsions alimentaires.

 

Le rôle de l’entourage est alors assez prépondérant. Le papa par exemple, est le premier référent masculin. Sa fille étant enfant, il lui disait peut-être souvent qu’elle était jolie.  Mais elle évolue, se rebelle voire l’intimide en devenant sexuée. Il ne le dit plus. Le premier référent est muet. La jeune fille peut en venir à se dire : « Je ne lui plait pas. Pourquoi ?... Parce que je suis trop grosse… ». C’est là un mécanisme entre d’autres.

 

Pour contrôler ces phénomènes qui la dépassent, l’adolescente va rechecher une norme (sociale) et mettre en place des stratégies de contrôle. Ce cocktail de phénomènes décrit plus haut  est souvent à l’origine de  la mise en place de restrictions et d’un certain perfectionnisme, purisme, qui mèneront à court ou moyen terme au trouble alimentaire.


 

 

 

 

 


Perfectionnisme et boulimie

 

 

 

 

 

 

 

Le perfectionnisme est une donnée quasi omniprésente dans le cadre de la boulimie (prise alimentaire compulsive avec stratégies d’élimination). Elle est à mettre en inter-relation avec la confiance en soi, évoquée par ailleurs. Ce perfectionnisme est assez limité, dans le sens où il naît le plus souvent de manifestations anxieuses : peur du jugement, de la critique, de l’évaluation. Bref ce que l’on nomme anxiété de performance, plutôt la peur d’échouer que la volonté de réussir. Cette forme de perfectionnisme démontre une basse estime de soi puisqu’elle sous-entend que l’on est critiquable, défaillant. 

 

Le milieu familial, en portant de l’importance à la réussite et à l’aspect corporel peut participer à ce phénomène. La perfection est souvent une préoccupation majeure : l’image doit être bonne, les comportements non-normatifs ou de perte de contrôle doivent être absents ou cachés. Il ne s’agit pas là encore d’être performant mais plutôt de ne pas montrer ce qui peut paraître défaillant ou jugé anormal. 

 

Un modèle fréquent correspond à un couple parental ou la maman est effacée du point de vue de la communication ou de l’intellect, plus ou moins limitée à un statut nourricier et ménager. Le papa est  présenté comme plus brillant, cultivé. Se noue une relation privilégiée père-fille d’où la maman est plus ou moins exclue. Cela peut même mener à une forme de concurrence mère-fille, où la jeune fille évolue sous la pression des exigences paternelles, une obligation d’être à la hauteur de ces attentes. Cette compétition mère-fille est d’autant plus développée si la maman elle-même rencontre des problèmes de poids ou des problèmes alimentaires.

 

Cette image de perfection est frappante en consultation. Bon nombre de thérapeutes surnomment d’ailleurs les personnes souffrant de boulimie : les « saintes ». Même pendant un entretien thérapeutique, elles sont dans le contrôle permanent de leur communication, de leur apparence, de l’image familiale, de leur vie affective et sexuelle. La seule exception ? Les crises de boulimie, perte de contrôle naturelle et inévitable vu le contexte, mais qui « fait tâche » dans ce tableau idyllique mais artificiel.

 

Ce perfectionnisme, ce niveau d’exigence entraînent une tension intérieure, un malaise et un mal-être qui seront calmés, ponctuellement par la prise alimentaire. Mais pour garder une image irréprochable, les crises vont être secrètes et les stratégies d’élimination vont venir préserver le contrôle de l’apparence physique. Le perfectionnisme est donc au centre de la problématique personnelle et familiale du sujet et donc au centre du trouble alimentaire et de son développement. 


 

 

 

 

 


Contrôle et perte de contrôle

 

 

 

 

Dans tout domaine psychologique et à fortiori dans celui des troubles, alimentaires ou autres, il y a une règle élémentaire : « plus il aura contrôle, plus il aura perte de contrôle ». Le contrôle est illusoire (on appelle d’ailleurs cela « illusion de contrôle »). Installée, dans un système perfectionniste et exigeant, la personne souffrant de boulimie met en place des stratégies de contrôle de plus en plus sophistiquées. Il s’agit de contrôler l’incontrôlable, démarche infernale, condamnée à l’avance qui ne peut mener qu’à une surenchère. Le contrôle s’installe à différents niveaux transformant un trouble (la boulimie) en un véritable mode de vie. Quelques exemples : 
 

 

- Pour un grand nombre, les crises sont planifiées, ritualisées : secret, horaires, contraintes, planification d’achat. 
 

 

- Contrôle du poids, par la mise en place de stratégies d’élimination : vomissement, laxatif (20%)
 

 

- Contrôle des quantités, toujours importantes, pour garantir le vomissement.
 

 

- Tentatives de surveillance et de contrôle externes par l’entourage. 
 

 

- Contrôle du poids par des périodes anorexiques (dans 50% des cas), de jeûne ou de sport à outrance.

 

 

Les stratégies de contrôle, réponses mises en place pour contrôler le trouble n’ont d’effet que de l’accentuer et de le chroniciser en créant un cercle vicieux sous la forme de l’alternance contrôle/perte de contrôle. 


 

 

 

 


Restriction cognitive 

 

 

 

 

Notre société est rationaliste, scientifique et trouve assez fréquemment sa satisfaction dans le contrôle de la réalité qui l’entoure. Il en est de même dans le domaine alimentaire. Face à des problèmes de poids (ou un risque ou une illusion de problème de poids), la stratégie n°1 consiste en la mise en place d’un contrôle de l’alimentation, à base de règles, de stéréotypes… Ainsi, les personnes que je côtoie dans des consultations portant sur les troubles alimentaires sont de véritables encyclopédies de diététique ambulantes, affirmant à tout vent et avec véhémence leurs règles alimentaires (discutables ou non) et présentant des croyances inébranlables dans ce domaine. Il est intéressant de noter que paradoxalement, plus il y a de certitudes et de règles, plus il y a trouble alimentaire. Cet aspect nourrit un principe assez général dans le domaine des troubles psychologiques (et donc également alimentaires) : plus il y a de contrôle, plus il y aura perte de contrôle. Cet aspect trouve une explication assez simple et nette : le naturel ne se contrôle pas. Et l’alimentation fait partie du naturel.

 

Il y a d'ailleurs un conte ancien qui relate comment la fourmi demanda au mille-pattes : « Pouvez-vous me dire comment vous arrivez  si bien à marcher avec mille pattes ? Pouvez-vous m’expliquer comment vous pouvez les contrôler toutes en même temps ? » Le mille-pattes se mit à y réfléchir et ne put alors plus marcher. 

 

Comment obtient-on un résultat opposé au résultat désiré? Les problèmes de poids (pour l’hyperphagie), ou la peur de prendre du poids (boulimie et anorexie), conduisent à la mise en place de croyances sur l’alimentation, croyances qui génèreront des comportement inadaptés. Sous contrôle, les choix alimentaires se fondent sur la régularité et la quantité au détriment de la nature de l’alimentation qui elle se fonde sur l’adaptabilité aux besoins du moment donc à la variabilité, au goût, à l’appétit et la notion de rassasiement ou de satiété.

 

Sous contrôle, l’alimentation ne se construit plus sur des informations internes mais sur des critères externes.

 

Alors, quel est le problème si on suit un régime et que l’on maigrit ?
Le problème essentiel est que, selon l’expression consacrée : « chassez le naturel, il revient au galop ». Le contrôle ou le régime s’inscrivent dans une première étape, phase volontariste ou le sujet fait abstraction de ses signaux internes du type goût, faim et satiété pour se conformer aux règles prescrites : il faut manger équilibré, il faut manger trois fois par jour, il faut manger ceci à midi et ceci le soir, … Pour supporter cet effort surhumain, le sujet met en place des rituels, évitements, interdictions absolues… Le système se rigidifie au détriment des rythmes naturels, des goûts, … L’extrémité de cet hyper-contrôle se révèle à travers l’anorexie, sorte de régime perpétuel.

 

A part les personnes se tournant vers l’anorexie, l’être humain n’apprécie guère les « il faut » ou « je dois », opérateurs modaux détestables. Un tabou est fait pour être transgressé.

 

Le premier tabou transgressé est celui de la quantité : la personne craque en mangeant en grande quantité des aliments autorisés. Mais la satisfaction n’est guère au rendez-vous (d’où les importantes quantités absorbées).

 

Le deuxième tabou transgressé est celui du goût (et de la charge calorique qui en général l’accompagne) : le sujet craque pour un aliment interdit, par goût. Et comme elle compte bien continuer le régime après cet accident, elle en consomme une grosse quantité. Chaque « craquage » comme disent les adolescents, est considéré et vécu comme le dernier c’est-à-dire avec une intensité comparable à l’enterrement d’une vie de garçon.

 

Ces aspects sont renforcés par le fait  que des personnes ayant eu à subir les affres du contrôle ou du régime pendant un certain temps, n’ont plus ou peu de sensation de satiété. Ayant anesthésié ses sensations, le sujet ne sent donc plus (ou peu) si il a faim ou non, ce qui pose rapidement problème dans le cadre des troubles alimentaires. Cet aspect débouchera sur l’hyperphagie et la prise de poids ou la mise en place de stratégies d’élimination dans la boulimie ou l’anorexie-boulimie.

 

D’un point de vue psychologique, la présence des règles entraîne deux processus qui vont venir amplifier les phénomènes : frustration et culpabilité. Frustration face aux interdits, aux arbitraires du régime (draconien ou non) et puis culpabilité après la perte de contrôle. Il est d’ailleurs à noter que dans les troubles alimentaires, les émotions que sont frustration et culpabilité sont anesthésiées et calmées d’une manière précise et particulière : par la prise importante de nourriture. Nous avons là un beau cercle vicieux. En thérapie stratégique, on nomme ce type de phénomène tentatives de solutions qui rendent le problème encore plus complexe. Ou bien à la manière d’Erickson, on peut mettre en valeur cette faculté déroutante qu’a l’être humain, face à une difficulté, de mettre en place une stratégie et, si d’aventure elle n’apporte pas satisfaction, à reproduire inexorablement :  faire  «encore plus de la même chose». Si il n’y a pas de règle, il n’y a pas formation de ce cercle vicieux. Il n’est pas rare dans l’approche thérapeutique des troubles alimentaires de trouver la remise en cause de la restriction cognitive au centre de la résolution de la problématique, et que la moitié du travail soit constituée par cette déprogrammation du sujet qui peut dans certains cas suffire à résoudre le problème : "Vous voulez maigrir?... Et bien mangez ce que vous voulez, dans les quantités que vous voulez et au moment où vous le voulez!" Le problème est juste de se réinitialiser, de reformater le disque dur pour le débarrasser de ces programmes dysfonctionnels et inadaptés au bien-être.


 

 

 

 

 


Facteurs socio-culturels

 

 

 

 

Les stéréotypes sociaux participent activement à la restriction alimentaire : mode, canons de beauté, milieux sportifs ou artistiques, conditionnements psychologiques divers… Il est d’ailleurs intéressant de noter que les civilisations ne présentant pas ces critères ne développent pas les mêmes proportions de troubles alimentaires. Ces stéréotypes peuvent nourrir le perfectionnisme déjà latent de personnes souffrant de trouble alimentaire tout comme leur développement psychologique.

 

Après les pin up, en 1960, les femmes androgynes apparaissent, phénomène qui s’accentue en 1970 (Birkin, Twiggy) dans un contexte féministe et revendicateur. Ce pic philosophique de la maigreur du début des années 70 est d’ailleurs confirmé par les chiffres des TCA qui montrent une diminution du nombre d’anorexiques (selon la définition stricte) de 60% pendant les années 1971-1987 à 42,3% pendant les années 1988-1996 alors que parallèlement les anorexie-boulimie augmentent (1). Ces chiffres indiquent également une tendance de la répartition des TCA à évoluer en fonction de l’esprit du temps.

 

Dans les années 80, la femme est active. Elle est sensée contrôler sa vie et son image.

 

Si l’influence sociale et culturelle ne provoque pas en elle-même un trouble alimentaire, elle y participe inévitablement et favorise la résolution d’un problème psychologique dans une désorganisation alimentaire.

 

 

Notre société est une société d’image. Et l’image de la femme qui nous est proposée est mince, voire plus, représentation associée à un mode de vie valorisant et actif. Les images sont retouchées, les mannequins sont elles-mêmes d’ailleurs souvent anorexiques. 

Les tailles des vêtements dans les magasins sont également en décalage par rapport à la réalité. Phénomène qui crée là encore frustration, sensation d’anormalité… Le souci essentiel est que la plupart des femmes ne peuvent atteindre ces critères. Il y a une part de génétique dans la morphologie ou la stature. 

 

Il est par ailleurs étonnant de constater que culturellement, la relation particulière entre une femme et son poids s’installe très tôt. Statistiquement, les bébés de sexe féminin sont moins nourris que ceux de sexe masculin. La mentalité « régime et restriction » est très vite présente, car là où les garçons sont peu éduqués, on insiste très précocement sur l’attention qu’elles doivent porter à leur alimentation. Il y a déjà les prémisses d’une désorganisation alimentaire où satiété, besoins naturels sont déjà négligés ou absents. 

 

En dehors du point de vue strict de l'alimentaire et de l'image, de manière plus psychologique et générale, la jeune fille ou la jeune femme est également victime d'un conditionnement, le même d'ailleurs que celui contre lequel les féministes montent régulièrement au créneau. Quelques éléments de ces stéréotypes culturels, proprement judéo chrétiens :
 

 

- Les garçons ont le droit de prendre des risques, de faire des bêtises. Les filles doivent être dans la retenue, la raison et la précaution : anxiété et contrôle.
 

 

- Dans la vie relationnelle, le garçon a souvent le droit d'exploser, d'agir en fonction de ses besoins et émotions. La jeune fille est encouragée à la diplomatie, à s'effacer pour entretenir le lien familial : inhibiton et hyperempathie

 

A ces phénomènes culturels viennent s'ajouter des éléments contemporains : la femme travaille, participe activement à la vie économique tout en gardant ses prérogatives familiales (ménage, organisation...). Il y a un cumul dangereux qui vient augmenter la pression et l'excès de contrôle. 

 

Aujourd’hui, la femme moderne doit être à la fois :
 

 

- indépendante (subvenir à ses besoins)
 

 

- forte (lutter contre le sexisme, professionnel et social)
 

 

- sensible (être à l'écoute)
 

 

- séduisante (correspondre aux canons de l'époque)
 

 

- active (manger vite)
 

 

- libérée (être gourmande et se faire plaisir)
 

 

- maman (cuisinière et nourricière)
 

 

- au centre du lien familial
 

 

- mince (produits allégés…)
 

 

- naturelle (manger des produits sains)
 

 

- diététique (consommer des produits équilibrés)
 

 

- maitresse de ses affects négatifs
 

 

- maîtresse de son corps (activité physique et sportive)
 

 

- maîtresse de son image (esthétique…)

 

 

 

Autre élément important, la femme moderne a également l’opportunité de modeler son corps de manière artificielle (chirurgie esthétique).

 

La femme moderne est sous contrôle : contrôle de sa vie, de soi, de son image, de son alimentation, de ses émotions, de son corps, de ses désirs, de sa liberté... Tout est contrôle. La crise de boulimie s'inscrit à l'inverse, comme une soupape, en tant que perte de contrôle, moment où les multiples verrous sautent.

 

Voici donc un réel et mic-mac identitaire qui favorise le développement de désordres alimentaires au gré de toutes ces informations contradictoires et de l’impossibilité bien entendu de s’y conformer intégralement.

(1) Selvini Palazzol et al. (1998, P. 23)